Boxe - Adonis Stevenson

La rédemption

Adonis passe en coup de vent chez les amateurs. Son séjour derrière les barreaux a laissé des traces. Il ressent une urgence de boxer chez les pros. Mais en même temps, il est méfiant envers ceux qui veulent l’aider.

Chez les amateurs, il obtient une fiche de 33 victoires et 5 défaites, dont 2 contre Jean Pascal. À l’époque, c’est Pascal, le chouchou de la foule.

Après deux ans au sein de l’équipe nationale, où il remporte une médaille d’argent aux Jeux du Commonwealth en Australie, il rencontre le promoteur Yvon Michel.

« On a eu l’assurance que sa vie avait changé », raconte le promoteur qui lui a fait signer son premier contrat professionnel en 2006.

Or, au fil des mois, Michel se rend compte que le boxeur est toujours marqué au fer rouge. « Adonis ne faisait pas confiance à personne. Il changeait souvent de gymnase et d’entraîneur », se souvient-il.

Cette méfiance lui nuit. « Il ne s’était pas développé comme on pensait qu’il allait le faire », explique M. Michel.

À la fin de son contrat avec GYM, en 2009, Adonis rencontre le promoteur américain Joe Duva qui le convainc de venir s’installer en Floride. Cette fois-ci, il aurait dû être plus méfiant.

La fête sous les palmiers

Avril 2010, Hollywood, en Floride. Adonis ne s’entraîne presque plus. Il fait la fête dans les bars.

Cela fait des mois qu’il vit aux États-Unis. Son promoteur-agent, Joe Duva, ne remplit pas ses promesses. Il ne lui a toujours pas trouvé d’adversaire. Il ne lui verse plus d’allocation.

Sans le sou et déprimé, Adonis lui annonce qu’il rentre à Montréal. Duva lui répond qu’il lui a trouvé un adversaire, Darnell Boone. Son combat a lieu dans une semaine dans le Maryland.

« J’avais besoin d’argent. Je n’étais pas préparé, mais je pensais le battre facilement. C’était un bum », se souvient Adonis. Son entraîneur arrive à peine 30 minutes avant le combat. Il n’a pas ses gants habituels.

Au premier round, Adonis envoie son adversaire au tapis. « Je n’étais pas en forme. Je voulais en finir le plus vite possible », raconte le boxeur.

Au deuxième round, Boone lui assène une droite solide. Adonis est envoyé au plancher. Il se relève, mais l’arbitre décide d’arrêter le combat. Adonis perd par K.-O. technique.

À la suite du combat, son promoteur le libère. Son rêve américain se brise. Sa réputation de Superman – surnom dont il a hérité lors de son court passage chez les amateurs – en prend pour son rhume. Il rentre au Québec. « Je me suis dit que ça ne m’arriverait plus. J’avais honte. »

Pied de grue devant GYM

De retour à Montréal, Adonis se cherche un nouveau promoteur. Il reçoit des offres, mais tout le monde veut le signer « au rabais ».

Le promoteur Yvon Michel, quant à lui, ne le rappelle même pas.

« À son premier contrat avec nous, il avait refusé certains combats plus risqués. Je me disais : il aime parader, mais il a peur des défis », raconte M. Michel.

Adonis est tenace. Pendant des mois, il se poste, tôt le matin, devant les bureaux de GYM sur le boulevard Saint-Laurent. Michel l’ignore. Le boxeur s’entraîne alors au gymnase d’Howard Grant. Ce dernier se met de la partie pour tenter de convaincre Michel.

Loin du sommet

Février 2011, à Montréal. Yvon Michel le convoque finalement à son bureau. Le promoteur accepte de le reprendre à une condition non négociable. Adonis ne doit plus refuser de combat. Il est loin du sommet.

Quelques mois plus tard, en décembre, Adonis se bat contre l’Américain Aaron Pryor Jr au Centre Bell. Le Québécois remporte son combat par K.-O. technique au 9e round, mais il semble désorganisé sur le ring. Manque de précision et d’équilibre. Sa puissance compense le reste.

Après le combat, Yvon Michel lui donne l’heure juste. « Tu ne battras pas les meilleurs de cette façon-là. »

Adonis se plaint de manquer de bons partenaires d’entraînement. « Je m’entraînais avec des combattants ultimes. J’avais une bonne condition physique, mais je manquais de technique », décrit Adonis.

Le milieu de la boxe est petit. « Les gars à Montréal ne voulaient pas mettre les gants avec moi. C’est comme s’ils me barraient pour que je ne progresse pas, indique le boxeur. Dans la boxe, il y a des clans. Je n’étais pas dans le bon clan. »

Le père spirituel d’Adonis, Tiger Paul, lui suggère de prendre le chemin de Detroit et de tenter sa chance au réputé Kronk Gym.

Adonis quitte Montréal dans la controverse. Son entraîneur Howard Grant l’accuse de l’avoir trahi. « C’est un geste de profiteur. Ce gars-là n’a aucune loyauté, il ne m’a même pas consulté », dira Howard Grant à La Presse à l’époque. De son côté, Adonis prétend lui en avoir parlé, mais que ce dernier rechignait à voyager.

De la chair fraîche

Janvier 2012, à Detroit. « Fresh meat [chair fraîche], fresh meat, fresh meat ! », scandent les boxeurs en guise d’accueil lorsque Adonis met les pieds pour la première fois au Kronk.

Le propriétaire du gym, Emanuel Steward, a formé une quarantaine de champions du monde dans sa carrière, dont le légendaire Thomas Hearns. Il n’a jamais accepté d’entraîner un Canadien.

Quand les gars apprennent d’où vient le nouveau, ils entonnent l'Ô Canada en dérision.

Adonis ne se laisse pas intimider. « Je voyais qu’on voulait m’arracher la tête », raconte-t-il. Ce jour-là, il met K.-O. deux adversaires plus imposants que lui.

Au terme de l’entraînement, Steward téléphone à Yvon Michel. « Il est incroyable, phénoménal », lance-t-il au bout du fil. Le vétéran de la boxe de 67 ans prend la route de Montréal le lundi suivant pour sceller son association avec GYM.

Quand Steward regarde Adonis, il se revoit plus jeune. La boxe a sauvé la vie de ce gangster repenti.

La prochaine supervedette

Le boxeur trouve au Kronk Gym une seconde famille. Steward l’héberge chez lui. Il lui apprend à faire confiance aux autres.

Jusqu’à sa mort en octobre 2012, il répétera qu’Adonis allait devenir la prochaine supervedette internationale de la boxe. Un mélange entre Mike Tyson et Sugar Ray Leonard.

Au point de vue technique, Steward a raffiné le style du boxeur. Il a le jeu de jambes d’un boxeur agile. Il lui a inculqué la philosophie du K.-O. avant tout.

C’est le neveu de Steward, Javan Sugar Hill, qui entraîne désormais Adonis dans la plus pure tradition du Kronk Gym.

Sugar est un ancien policier de Detroit. Il connaît le passé de son protégé et refuse de le juger. « Adonis était dans la rue, il s’est adapté à son environnement. Aujourd’hui, il s’adapte dans le ring. On passe notre vie à s’adapter. »

Aux yeux de Sugar, Adonis est un modèle de réinsertion. « S’il n’avait pas eu ce passé, il ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui », dit l’entraîneur.

Sugar est comme un grand frère pour Adonis. Leur complicité est évidente. Le boxeur n’a pas de nutritionniste ni de préparateur physique. Il s’en remet à un seul homme.

76 secondes

Le 8 juin 2013, au Centre Bell. Exactement 76 secondes. La vie du boxeur vient de changer en 76 secondes.

C’est le temps qu'il a mis pour ravir la ceinture de champion WBC des mi-lourds (175 lb) à Chad Dawson et ainsi prendre sa place dans l’élite de la boxe. 

Le nouveau champion du monde explose de joie avant de s’effondrer, en larmes.

« Adonis ne savait pas quoi faire sur le ring après le K.-O. Personne ne s’attendait à une victoire aussi rapide, se souvient son entraîneur, Sugar Hill. Je n’ai jamais vu un boxeur célébrer de façon si sincère. »

Depuis le début de sa carrière, et même, peut-on avancer, de sa vie, Adonis a été le négligé.

Avec ce K.-O., il se rapproche du statut de supervedette prédit par son défunt mentor, Emanuel Steward. HBO signe alors une entente lucrative de trois combats avec le Québécois.

Moins de quatre mois après ce spectaculaire knock-out, le public américain a pu voir en direct sa première défense de titre contre une autre grosse pointure, Tavoris Cloud.

Ce jour-là, le 28 septembre, Stevenson domine Cloud d’un bout à l’autre du combat pour l’emporter par K.-O. technique au 7e round.

Même le légendaire Don King, promoteur de Cloud, vante le style du boxeur québécois. « Stevenson a démontré ce soir un peu de Tyson et un peu d’Ali. Il a livré un grand combat », a dit King à La Presse.

Le promoteur Yvon Michel compare Adonis à Georges St-Pierre. À ses débuts, le Québécois connaissait un grand succès chez nos voisins américains, mais était encore méconnu au Québec.

Un combat nan peyi m’nan

Novembre 2013, à Delray Beach, en Floride. Assis sur une chaise longue au bord de la piscine d’un chic immeuble de condos, Adonis s’accorde un court moment de repos entre ses deux entraînements quotidiens.

Il lui reste une dizaine de jours avant de rentrer chez lui en vue de la défense de son titre de champion WBC des mi-lourds contre Tony Bellew, le 30 novembre à Québec.

Adonis confie à La Presse son rêve de faire un combat là où il est né, en Haïti. Il n’est jamais retourné depuis qu’il a pris l’avion pour Montréal afin de rejoindre sa mère, au début des années 80.

Ça lui paraît des siècles ; comme s’il avait vécu plusieurs vies.

« À ma connaissance, je serais le premier champion du monde à le faire », dit-il. Le président Michel Martelly l’a déjà appelé pour l’inviter.

Le boxeur de 36 ans doit d’abord convaincre sa femme – enseignante au secondaire – que ça ne mettra pas sa vie en péril. Il parle d’elle avec beaucoup d’admiration. Le couple vient d’avoir son troisième enfant.

« Je sais que ce n’est pas facile pour elle que je m’entraîne loin », dit-il en soupirant. Il parle presque tous les jours à ses enfants sur Skype. « Je sais c’est quoi, grandir sans père. Je veux être là pour eux. »

Avant de réaliser son rêve de combattre devant les siens, il a un adversaire concret qui l’attend le 30 novembre.

Avant le combat, Adonis va se recueillir devant une photo d’Emanuel Steward accrochée dans le vestiaire. Un tête-à-tête avec son défunt mentor. Il va ensuite se diriger vers le ring sur la musique de la trame sonore de Superman.

S’il remporte son combat contre le Britannique Bellew, Superman deviendra riche. Très riche, grâce à un contrat potentiel de plusieurs millions avec la télévision américaine. Et il l’aura gagné honnêtement, à la sueur de son front. Son ancienne vie est derrière lui. La nouvelle peut commencer.

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